Démystifier le fonctionnement des puits de carbone forestier
Notre
ministre des forêts, l’honorable Pierre Dufour, déclarait en chambre récemment
vouloir couper plus d’arbres pour soutenir la stratégie de développement de
l’industrie forestière au Québec. Selon lui, l’augmentation de la récolte
permettrait de réduire les gaz à effet de serre (GES).
On se
doute bien, et les chercheurs en foresterie le confirment, qu’on ne doit pas
prendre cette affirmation au pied de la lettre. Mais qu’en est-il exactement,
pourquoi n’est-ce pas si clair ? Chacun sait que la plantation d’arbres
permet de capter le CO² atmosphérique. Grâce à la photosynthèse, les végétaux
parviennent à séparer les molécules d’oxygène (O²) de la molécule de carbone
contenue dans ce puissant gaz à effet de serre. L’oxygène est libéré, purifiant
l’air, et l’atmosphère est débarrassée de ce gaz qui, en trop grande quantité,
contribue au réchauffement climatique. Et ce processus essentiel aux végétaux
permet surtout la transformation de la molécule de carbone en sucres favorisant
la construction de tissus vivants. Chez les arbres, il s’agira des feuilles,
aiguilles, écorces et fibres de bois. C’est donc ainsi que le carbone est
emprisonné ou « séquestré » dans l’arbre.
Pendant
toute sa vie et à des vitesses variables selon sa croissance, l’arbre va
séquestrer du CO² si bien qu’il pourra « se nourrir » de nos émissions
polluantes. C’est ainsi que les plantations forestières compensent pour nos
émissions de GES dans la mesure qu’il s’agisse de nouvelles superficies non
boisées ou mal régénérées. Mais il faut savoir que ce processus naturel n’est
pas éternel. Vers la fin de sa vie et lorsque la croissance de l’arbre est
minime, la captation de CO² devient très faible. Lorsqu’il finit par mourir,
l’arbre retourne le carbone dans l’atmosphère selon un processus de
décomposition engendré par d’autres êtres vivants comme les champignons, la
pédofaune et les micro-organismes.
Pour
retarder ce retour du carbone dans l’air en laissant pourrir les arbres, on
peut les récolter avant qu’ils ne meurent et les transformer en bois d’œuvre.
On dit que le bois ainsi transformé permettra au CO² de demeurer séquestré dans
nos bâtiments pour une centaine d’années. C’est pour cette raison que notre
gouvernement veut encourager l’utilisation du bois à la place de matériaux de
construction comme l’acier ou le béton dont l’extraction et la production
émettent beaucoup plus de GES à la source. Ce changement dans nos habitudes de
construction est indéniablement souhaitable et contribuera certainement à nos
efforts de lutte aux changements climatiques.
Nous ne
croyons pas pour autant qu’il vaille nécessairement augmenter
drastiquement le volume des récoltes forestières commerciales du Québec. Les
modèles connus reposent souvent sur des hypothèses plutôt difficiles à valider
et les calculs sont imprécis en plus de s’appliquer seulement à certains types
de forêts ou régimes forestiers. Dans un contexte où plusieurs facteurs sont à
considérer et où il n’est toujours pas clairement évident de calculer les
bilans du carbone, nous recommandons d’agir avec prudence et circonspection.
Premièrement,
ce moyen de lutte devra inévitablement être complémentaire à une réduction
significative de nos émissions de GES, donc de notre consommation en général,
autrement on risque de manquer de place pour planter des arbres ! À cet effet,
l’idée du premier ministre Justin Trudeau de planter 2 milliards d’arbres d’ici
10 ans nous apparaît peu réaliste, surtout au Québec.
Il faut
également comprendre que tous les produits forestiers récoltés au Québec ne
sont pas tous destinés à une transformation en bois d’œuvre. Certains produits
du bois ne permettent pas de séquestrer le carbone sur une assez longue période
pour réduire les GES de façon efficace. C’est donc aussi ce qu’on fait avec le
bois qui est important.
Et même
pour les arbres qui sont destinés aux produits du sciage, une proportion
importante de l’arbre (ses feuilles, aiguilles, écorces ou fibres non utilisables)
ne peut être séquestrée de façon optimale. Ces résidus de récolte sont laissés
au parterre de coupe et leur décomposition permet un apport bénéfique en
nutriments dans le sol. Toutefois, cette décomposition occasionne un retour du
carbone vers l’atmosphère. Les résidus du sciage, quant à eux, sont souvent
brûlés pour produire l’énergie requise par l’usine. Dans certains cas, ceux-ci
sont transformés en pâte à papier. Il en résulte encore là une rétention
faible, voire nulle, du carbone avant son retour en GES.
Ensuite,
les bilans du carbone dans un cycle de vie complet de production doivent
inévitablement inclure toutes les émissions de GES produites par la machinerie
forestière de récolte, le transport des billots et les usines de
transformation. La réduction de l’empreinte carbone permettra également
d’améliorer l’efficacité du cycle au-delà de la simple contribution de l’arbre
planté lui-même.
Deuxièmement,
les coupes forestières industrielles générant de forts volumes de bois d’œuvre
sont pratiquées au nord selon un régime de coupes rases avec protection de la
régénération lorsqu’elle est présente. Ces pratiques sont discutables
considérant les autres aspects du développement durable. Nous sommes d’avis que
les bénéfices environnementaux et la réduction de nos émissions de GES associés
à une gestion plus écosystémique de nos forêts seraient supérieurs à une simple
augmentation des récoltes selon les pratiques actuelles. Les régimes
d’éclaircies pratiquées dans les forêts feuillues et mixtes du sud permettent
selon nous de séquestrer encore plus de carbone. L’ouverture du couvert
forestier apporte la lumière nécessaire pour régénérer naturellement la forêt,
sans avoir à recourir au reboisement. Ces éclaircies, dont l’acceptabilité
sociale est beaucoup plus évidente, permettent également d’augmenter la vitesse
de croissance des jeunes arbres vigoureux laissés sur pied contribuant aussi à
la réduction des GES. Il n’y a donc pas seulement la solution « plus de coupes
totales avec reboisement », il y a aussi la solution « plus de coupes
partielles autorégénérées » à considérer. Ainsi, on tiendra compte des autres
enjeux tels que la biodiversité ou la protection des espèces menacées par la
perte d’habitats avec des gains de séquestration de carbone possiblement plus
significatifs.
On devrait
plutôt parler de couper mieux plutôt que de couper plus. Augmenter la récolte
aidera à la lutte aux GES seulement si elle est réalisée dans le maintien des
contributions écologiques des écosystèmes naturels.
L’intention
du ministère des Forêts de la Faune et des Parcs est de s’arrimer à sa stratégie
d’aménagement durable des forêts. Un des six défis de cette stratégie
consiste à gérer « des forêts et un secteur forestier qui
contribuent à la lutte contre les changements climatiques et qui s’y adaptent ».
L’objectif visé par notre gouvernement est de « réduire les émissions
de GES en augmentant l’utilisation du bois de construction et du bois
d’apparence du Québec. »
Au-delà
des aménagements écosystémiques dans lequel le Québec s’est déjà engagé, nous
devons collectivement consacrer nos énergies à favoriser davantage la
construction en bois dans le secteur public et institutionnel. Ce choix
inscrira concrètement le Québec dans sa capacité et son leadership à diminuer
ses émissions de CO² dans le secteur de la construction commerciale. Cet
engagement collectif contribuerait aussi à soutenir une industrie qui fait
notre histoire, notre fierté et forge notre identité culturelle.
Jean-Sébastien
Malo, ingénieur
forestier
Benoit
Michaud,
technicien forestier
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